| Randonnée en vélo en France  | 
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| Tout au long de mon voyage, j'ai noté mes réflexions et observations et ai accepté de les faire partager d'abord aux lecteurs et lectrices de la revue L'ESSART. | |
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 Dans la semaine qui précède le départ, je prépare le nécessaire. J’avais déjà depuis quelque temps noté les objets à apporter. On trouve sur Internet des sites de cyclotouristes qui font part de leur expérience à ce sujet. Je spécialise chacune de mes 5 sacoches : les deux sacoches avant contiennent l’une la tente, le petit marteau et le polythène et l’autre le sac de couchage, le matelas gonflable, l’oreiller et la taie. Je mets dans la sacoche qui va sur le support à vélo arrière les objets suivants : nécessaire à réparation de pneus, jumelles, étiquettes d’adresses, photos de famille, souvenirs, carte de la France, rasoir, crème à barbe, brosse et pâte à dent, verres fumés, savon et médicaments, au cas où… Dans la sacoche arrière gauche, ce sera la serviette et la débarbouillette, mon linge de rechange : 2 paires de bas, 1 pantalon cargo convertible, 1 tee-shirt, 3 slips, 1 chemise, 1 coton ouaté avec capuchon, l’ensemble de pluie, les gants d’été et d’automne, les sandales, les tongs, le safari en filet orange et le petit siège pliant. La dernière sacoche sera mon garde-manger mais contiendra aussi le poêlon, le chaudron, un couteau, une cuillère et une fourchette, l’ouvre-boîte et le camping-gaz. Je porterai à ma taille la caméra et la boussole et je partirai habillé de ma veste Garneau, d’un safari dans lequel je tiendrai en sécurité carte Visa, carte débit, argent, passeport et billet d’avion. Je vais chez Demers vélo me procurer une boîte pour mettre le vélo, que je démonte en parties : pédales, roue avant, guidons, fourche, supports à sacoches avant ; j’y insère mon casque de vélo.  | 
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     3 septembre Le départ est prévu à 23 h 30 de l’aéroport Jean-Lesage. C’est ma fille Marianne qui vient m’y conduire et quelle n’est pas ma surprise de voir mes frères Raymond et Jean-Claude, accompagné de Marie-Berthe, et mon neveu Mario avec son amie Chantal. L’attente est ainsi moins longue ; mais cette présence accentue l’émotion.  | 
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     4 septembre À Paris, ce midi, il fait 14 degrés ; c’est partiellement nuageux. L’avion atterrit à 11 h et c’est à 12 h que je passe à la douane ; j’ai bien vu que les passagers qui me précédaient présentaient une carte de débarquement. Je ne me souviens vraiment pas quand elle a été distribuée et, moi, je n’avais rien à présenter. Heureusement, le douanier, probablement à cause de ma bonne mine ou de la fatigue (j’étais parmi les derniers), n’a fait aucun problème, bien qu’il ait manifesté de l’étonnement. Puis c’est l’attente assez longue pour la récupération des sacoches et de mon cher vélo ; mon premier souhait, c’est que je les récupère sans trop de dégâts et ça, ça fait partie du stress du voyage, qu’on le veuille ou non Je dois calculer une bonne demi-heure pour remonter le vélo sous les yeux des passants. Heureusement, tous les morceaux s’emboîtent bien ; je réussis à gonfler les pneus à 90 psi ; c’est insuffisant, surtout avec les 22 kg de bagages : je trouverai bien un garage pour les monter à 100 psi.   Il est donc 13 h 40 quand je quitte l’aéroport. Heureusement, la sortie donne presque sur la campagne. Ma première impression ? C’est l’état de la chaussée ; l’asphalte est très rugueux et je me demande si j’ai bien fait d’avoir changé avant de partir de Québec mes pneus de 33 mm pour des 30 mm. Dureront-ils tout le trajet ? Au premier garage rencontré, je m’arrête faire gonfler mes pneus. Première déception ; mes pneus sont équipés de valves presta, dites valves françaises ; mon marchand, à Québec, m’avait conseillé d’adopter ce type de valves, parce que, disait-il, il prévalait en France ; lui-même y avait fait beaucoup de vélo. Mais la réalité était un peu différente, en dehors de magasins de vélos spécialisés, il me serait difficile, me dit-on, de trouver un tel service. À Dammartin-en-Goële, à sept kilomètres de l’aéroport, je m’achète une banane, des petits gâteaux, un pepsi et de l’eau minérale. Je profite de cet arrêt pour ajouter, avec ma pompe à main, un 5 psi à mes pneus, non sans effort. 
		 J’avais envisagé de m’installer pour le premier soir à Ermenonville, à 18 km à peine de l’aéroport. J’avais prévu arriver là vers 15 h ou 16 h, y acheter une carte postale, visiter le lendemain le parc Jean-Jacques Rousseau construit dans le style anglais par Louis-René de Girardin, ami de Jean-Jacques Rousseau dont la vision de la nature l’avait inspiré. C’est dans ce domaine que Rousseau était décédé le 2 juillet 1778, à peine six semaines après son installation. Rien de ça ne s’est réalisé. Le camping d’Ermenonville est fermé depuis deux ans. Ce que ne mentionnait pas le site Internet. Je serai plus prudent et critique à l’avenir. Ce soir donc, je couche à Aumont en Halatte, à 4 km de Senlis, après 42 km de vélo, si je calcule les kilomètres supplémentaires pour traverser Senlis et en sortir, tellement les travaux de voirie y rendaient difficile l’orientation ; les indications me ramenaient toujours devant des routes fermées. Je n’exagère pas, il m’a fallu plus d’une demi-heure pour trouver la bonne direction, revenant continuellement sur mes pas, même après plusieurs informations auprès des piétons qui sortaient de leur journée de travail. Dès la sortie de la ville, je me retrouve au cœur de la forêt d’Aumont. Les indications demeurent vagues. Plus d’une fois, je me retrouve devant des carrefours mal indiqués. À l’un des carrefours, je m’informe à un automobiliste de la direction d’Aumont ; je doute de son conseil et je continue mon chemin ; avec raison, puisque, peu de temps après, j’intercepte un cycliste, plus rapide que moi, qui va en direction du camping. Dans l’ensemble, depuis l’aéroport, le terrain est plutôt plat, sans accident de terrain, sauf à la sortie de Senlis, qui donne sur une longue pente étroite, que je devrai remonter le lendemain. Les propriétaires du camping demeurent dans une roulotte à l’entrée. Je demande un espace pour une nuit. « Heureusement que c’est pour un soir, me dit-il, car nous fermons demain matin, les travaux à Senlis ont complètement fait fuir notre clientèle. » Petite consolation, je ne suis pas le seul à pâtir des travaux. Heureusement que j’avais acheté un peu de nourriture en chemin, car au camping d’Aumont il n’y a aucun endroit où s’en procurer. La propriétaire me passe un quart de baguette de pain et le voisin de camping, une famille portugaise, dont le père travaille pour une grande compagnie internationale suisse, me sert dans son camping-car une soupe aux légumes chaude, qui me fait vite oublier mes premiers déboires. Aumont en Halatte est la commune d’adoption d’Henri Barbusse, ami de Gérard de Nerval, en l’honneur de qui il avait nommé sa maison de campagne Villa Sylvie. C’est aussi à Aumont que se réunit, chaque 15 juin, l'Association Républicaine des Anciens Combattants, créée par Barbusse lui-même en 1917. Il est 20 h 40 quand je me prépare à me coucher. La nuit s’annonce fraîche. 
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     5 septembre À huit heures, après une nuit assez froide, je quitte le camping en direction de Compiègne. En chemin, j’arrête, avec un esprit reposé, revoir le centre-ville de Senlis, berceau de la dynastie capétienne, sise au confluent des deux affluents de l’Oise: la Nonette et l’Aunette. J’arrive au moment où le marché s’installe dans les rues étroites. C’est dans cette ancienne cité romaine que Hugues Capet est élu roi en 987. Je passe devant la célèbre cathédrale Notre-Dame au style gothique flamboyant. Sur son portail ouest, on peut voir encore la première représentation de l'Assomption de la Vierge. Avant de partir, j’en profite pour poster ma première lettre à la famille et m’acheter des fruits. La route de Compiègne est vallonnée ; je traverse une région agricole, qui me semble très riche. Il est 13 h. Je viens d’installer la tente au camping municipal de Compiègne, adjacent à l’hippodrome, et je termine de dîner dans la tente: du thon en boîte et un croûton de pain. Une pluie froide tombe finement. Je m’étends dans ma tente aux prises avec une crise d’ennui ; mon épouse et mes enfants me manquent vraiment. C’est comme si je découvrais que je n’avais jamais dit assez que je les aimais vraiment. C’est vraiment à ce moment que je réalise que je passe du rêve à la réalité. Je me mets même à douter à ce moment-là de ma capacité à entreprendre tout le voyage. « Mais qu’est-ce qui m’a mis cette idée dans la tête », me répété-je, presque sur le bord de la déprime. J’essaie de déterminer les circonstances de cette naissance. En juillet 1999, un peu pour marquer mon début de la retraite, je me suis donné comme défi de faire le tour du Lac-Saint-Jean avec point de départ Chicoutimi. C’est probablement à partir de cette expérience que m’est venue l’idée, au début fantaisiste, de me lancer un autre défi. J’ai pensé à Cuba en vélo, mais je ne voyais pas comment le faire en dehors d’une organisation, ne connaissant pas assez le pays. La France m’était plus familière ; j’ai donc songé d’abord à réaliser les randonnées que proposent sur Internet différents Offices du tourisme de la région de la Loire : 7 randonnées pour visiter les châteaux de la Loire : je les avais déjà visités pour la plupart avec mon épouse Nicole ; mais les refaire en vélo me tentait quand même, jusqu’au jour où je vais voir en automne 1999 le film de Luc Bresson, La Messagère – L’histoire de Jeanne d’Arc. À la sortie du film, probablement le réflexe de Thomas, j’ai le goût de lire une biographie honnête qui saurait démêler les faits de la légende dans la vie de Jeanne d’Arc. Le hasard joue en ma faveur : je vais à la bibliothèque Étienne-Parent de Beauport et je vois en promotion une biographie récente, 1999, de cette héroïne française. L’auteur : Roger Caratini, philosophe et mathématicien, auteur de l’encyclopédie Bordas, universellement reconnue. 
		 En s’en tenant aux documents officiels, Caratini tente justement de démêler l’histoire politique et guerrière de Jeanne, depuis le 13 février 1429, alors qu’elle quitte Domrémy pour gagner Vaucouleurs afin de convaincre Robert de Baudricourt de la conduire à Chinon auprès de Charles VII jusqu’à sa mort sur le bûcher le 30 mai 1931 au Vieux Marché de Rouen. En annexe de sa biographie, je retrouve en synthèse tout l’itinéraire de Jeanne d’Arc, de Domrémy à Chinon. Et l’éclair frappe ; je suivrai en vélo ce trajet. Tout au long de l’automne, sans trop y croire, je me documente via Internet sur les lieux où est passée Jeanne d’Arc ; je trouve aussi des terrains de camping presque à chaque endroit. Et je me laisse ainsi prendre au piège ; en fait, mes actes deviennent ma décision. C’est quand je reçois le 25 janvier 2000 mon passeport que je réalise le sérieux de mon projet. Mais, je n’avais pas encore fixé définitivement le moment du voyage ; mon épouse Nicole aurait préféré juin ou juillet 2001 pour des raisons que je respectais. D’un autre côté, je pensais au voyage aux Sources de Voyages Lambert pour les Familles Lessard, prévu en octobre 2000 ; les facteurs négatifs : la plupart des campings ferment les uns le 15 septembre, les autres le 30 septembre. Peu restent ouverts à l’année. Je m’informe de la température : en septembre, une moyenne de 20 le jour et de 14 la nuit et en octobre, 16 le jour et 12 la nuit. En mars, un ami m’offre d’aller assister à une conférence d’un cycliste québécois qui a fait du cyclotourisme seul en France. Je retiens surtout de sa présentation la difficulté dans les premiers jours d’apprivoiser la solitude. C’est le 16 mai que je fais un premier dépôt de 150 $ sur un total de 779 $, auprès de l’agence de voyages CAA, m’engageant fermement pour le départ le 3 septembre et le retour le 22 octobre. Le 3 septembre, parce que c’est la dernière date de départ possible de Québec et j’y tenais. Entre temps, je complète ma documentation sur Internet et je lis tout ce qui se rapporte à Jeanne d’Arc. En août 2000, j’envoie un courriel au Centre Jeanne d’Arc d’Orléans, pour vérifier où se trouvait l’abbaye Saint-Urbain. Je reçois le 22 du même mois la réponse suivante de M. Olivier Bouzy : Monsieur, Saint-Urbain se trouve à une quarantaine de Km au sud-ouest de Vaucouleurs, près de Fronville, à environ 5 Km au sud de Joinville. Mais je dois ajouter que vous ne pouviez trouver pire guide sur la route de Jeanne d’Arc que le livre de M. Caratini. Ce monsieur a une formation de philosophe, ce qui fait qu’il ne comprend pas le sens des textes en vieux français et ne sait pas comment les analyser. J’ai relevé dans son livre des contresens extraordinaires, sans parler de son complet fourvoiement à propos du siège d’Orléans, faute de sa part d’avoir su trouver la documentation nécessaire à la connaissance de cet épisode. Cette documentation, qui n’a d’ailleurs rien de difficile à trouver pour peu qu’on veuille s’en donner la peine, peut être consultée au Centre Jeanne d’Arc. Vous trouverez à l’office de tourisme de Vaucouleurs des cartes de l’itinéraire de Jeanne d’Arc qui vous guideront plus sûrement que M. Caratini ne saurait le faire. Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma haute considération. Cette information me trouble un peu mais ne remet pas en cause l’itinéraire ; toutefois, j’essaie d’en trouver un sur Internet qui confirmerait celui que j’avais retenu. L’Association des Villes johanniques dont le siège social est à la mairie de Domrémy la Pucelle en propose un que j’imprime. Évidemment, je ne respecterai pas la chronologie des événements ; de plus, compte tenu du temps, je ne retournerai pas à Reims, à Poitiers, à Orléans et à Rouen, puisque ce sont des villes que nous avons déjà visitées mon épouse et moi et, en partie, mon garçon. De plus, je prévois visiter des amis à Roanne et à Lyon. Jusqu’à la dernière minute, tout me semble encore un rêve, malgré des gestes qui m’engagent de plus en plus. Aujourd’hui 5 septembre, je fais face pour la première fois à ma première véritable décision : je relèverai le défi, comme pour prouver que je les aime de tout mon cœur. Je saisis en ce moment que je dois vivre chaque moment le plus intensément possible, au jour le jour. L’image de la montagne qui se laisse gravir à petits pas si on s’en donne le temps me vient à l’esprit. 
 Je dois apprivoiser ma solitude… de la parole à l’acte. 
 
		Il est 13 h 40 et je pars visiter le centre-ville de 
		Compiègne,
		ville de 43 000 habitants. Avant de 
		m'installer au camping, j'étais déjà passé à l'Office du tourisme pour 
		obtenir la carte touristique de la ville historique et la documentation 
		pertinente ; j'avais acheté pour 11 francs l'itinéraire officiel de 
		Jeanne d'Arc. Je m'arrête d'abord à l'église St-Antoine
		où Jeanne d'Arc avait prié en 1430 le matin de sa capture par les 
		Bourguignons. De beaux vitraux font référence l'un au sacre de Charles 
		VII, l'autre au retour à Compiègne après le sacre, un troisième aux voix 
		de Jeanne d'Arc 
		 Puis, je me fais photographier devant la statue de Jeanne d'Arc dans le 
		petit parc face à 
		l'Hôtel de ville, 
		édifice de style début renaissance du XVP 
		siècle surmonté par son beffroi, au centre duquel se dresse la statue 
		équestre de Louis XII. 
 Je retourne à l'Office du tourisme pour obtenir l'adresse d'un fournisseur Internet et je me rends chez un vendeur d'ordinateurs qui offre ce service à 10 francs les 10 minutes ; au premier étage, trois ordinateurs sont réservés à Internet ; je suis chanceux, l'un est libre. Première surprise, je dois apprivoiser le clavier AZERTY. J'entre sur le site «Moncourrier.com mais c'est vraiment lent. J'envoie mes premiers messages à la famille et à mes voisins ; je ne prends pas le temps de localiser les accents. J'occupe un bon vingt minutes ; mais le fournisseur ne me chargera que 10 francs (2 $) ; de toute façon, ce moment n'a pas de prix ; de courtes minutes où l'adrénaline circule vite. 		
				 J'ai le goût d'un souper copieux ; j'achète chez 
		ATAC,
		genre MAXI québécois, un steak, des 
		légumes en boîte, une bonbonne de gaz et un 225 ml de vin Bordeaux. Et 
		je retourne au camping à 17 h ; je soupe à l'heure québécoise. Puis, je 
		lis le Figaro assis sur mon petit 
		banc portatif, qui me donne mal au dos, peu importe la posture que je 
		prenne. Sur le terrain de camping, il n'y a ni table ni banc. 		
		 Il est 20 h et je vais sur le bord de l'Oise à deux km du camping. Le 
		centre-ville est tranquille, de même que le bord de l'Oise, petit 
		affluent de la Seine de la largeur de la Chaudière au printemps. Je 
		cherche les vestiges du pont-levis qui existait au moment du 
		siège de Compiègne par les Bourguignons, auquel avait pris part le duc 
		de Bourgogne, Philippe le Bon. C'est précisément dans la soirée du 24 
		mai 1430 que Jeanne d'Arc décide de faire une escarmouche en dehors de 
		la forteresse de Compiègne avec sa petite troupe de quelque 500 hommes 
		Après un combat désespéré contre une force supérieure, on sonne la 
		retraite. Devant un éventuel danger, Guillaume de Flavy, commandant de 
		Compiègne, lève par erreur ou par panique le pont-levis, empêchant 
		Jeanne et quelques-uns de ses combattants de se mettre à l'abri. Jeanne 
		devient ainsi prisonnière de Jean de Luxembourg. 		Au retour au camping, j'évite la 
		
		place du Général de Gaule, du moins la partie qui 
		passe devant le château de Compiègne ; le pavé de pierres humide rend 
		dangereuse la circulation en vélo ; je m'aventure dans les petites rues 
		parallèles, plus noires et silencieuses, qui débouchent près de 
		l'hippodrome du Putois, adjacent au terrain de camping. 		Il est 21 h 02 et je me couche. Je sens encore le décalage horaire. La 
		clôture en broche carrelée près de laquelle je m'étais installé donne 
		sur la forêt domaniale de 14 450 hectares, où foisonne le gibier (cerfs, 
		chevreuils, sangliers, renards, hérons, buses, lézards verts) et qui 
		laisse entendre déjà des bruits les plus étranges jamais perçus. Ça me 
		rappelle les minutes passées avec la famille, il y a bien des années 
		dans les Everglades en Floride. Je me laisse envahir avec enchantement 
		par ce mélange insolite de cris d'oiseaux, de hurlements de petits 
		animaux et de cliquetis de branches. Je m'endors sur cet oreiller de 
		bruits. 
		 Il est 13 h 40 et je pars visiter le 
		centre-ville de Compiègne, ville de 43 000 habitants. Avant de 
		m'installer au camping, j'étais déjà passé à l'Office du tourisme pour 
		obtenir la carte touristique de la ville historique et la documentation 
		pertinente ; j'avais acheté pour 11 francs l'itinéraire officiel de 
		Jeanne d'Arc. Je m'arrête d'abord à l'église St-Antoine où Jeanne 
		d'Arc avait prié en 1430 le matin de sa capture par les Bourguignons. De 
		beaux vitraux font référence l'un au sacre de Charles VII, l'autre au 
		retour à Compiègne après le sacre, un troisième aux voix de Jeanne 
		d'Arc. 
		Puis, je me fais photographier devant la statue de Jeanne 
		d'Arc dans le petit parc face à l'Hôtel de ville, édifice de 
		style début renaissance du XVP siècle surmonté par son beffroi, au 
		centre duquel se dresse la statue équestre de Louis XII. 
		Je retourne à l'Office du tourisme pour obtenir 
		l'adresse d'un fournisseur Internet et je me rends chez un vendeur 
		d'ordinateurs qui offre ce service à 10 francs les 10 minutes ; au 
		premier étage, trois ordinateurs sont réservés à Internet ; je suis 
		chanceux, l'un est libre. Première surprise, je dois apprivoiser le 
		clavier AZERTY. J'entre sur le site «Moncourrier.com», mais c'est vraiment lent. J'envoie mes premiers messages à la famille et 
		à mes voisins ; je ne prends pas le temps de localiser les accents. 
		J'occupe un bon vingt minutes ; mais le fournisseur ne me chargera que 
		10 francs (2 $) ; de toute façon, ce moment n'a pas de prix ; de courtes 
		minutes où l'adrénaline circule vite. 
		 
		J'ai le goût d'un souper copieux ; j'achète chez ATAC,
		genre MAXI québécois, un steak, des légumes en boîte, une bonbonne 
		de gaz et un 225 ml de vin Bordeaux. Et je retourne au camping à 17 h ; 
		je soupe à l'heure québécoise. Puis, je lis le Figaro assis sur 
		mon petit banc portatif, qui me donne mal au dos, peu importe la posture 
		que je prenne. Sur le terrain de camping, il n'y a ni table ni banc. 
		 Il est 20 h et je vais sur le 
		bord de l'Oise à deux km du camping. Le centre-ville est tranquille, de 
		même que le bord de l'Oise, petit affluent de la Seine de la largeur de 
		la Chaudière au printemps. Je cherche les vestige du pont-levis qui 
		existait au moment du siège de Compiègne par les Bourguignons, auquel 
		avait pris part le duc de Bourgogne, Philippe le Bon. C'est précisément 
		dans la soirée du 24 mai 1430 que Jeanne d'Arc décide de faire une 
		escarmouche en dehors de la forteresse de Compiègne avec sa petite 
		troupe de quelque 500 hommes Après un combat désespéré contre une force 
		supérieure, on sonne la retraite. Devant un éventuel danger, Guillaume 
		de Flavy, commandant de Compiègne, lève par erreur ou par panique le 
		pont-levis, empêchant Jeanne et quelques-uns de ses combattants de se 
		mettre à l'abri. Jeanne devient ainsi prisonnière de Jean de Luxembourg. Au retour au camping, j'évite la place du Général de 
		Gaule, du moins la partie qui passe devant le château de Compiègne ; 
		le pavé de pierres humide rend dangereuse la circulation en vélo ; je 
		m'aventure dans les petites rues parallèles, plus noires et 
		silencieuses, qui débouchent près de l'hippodrome du Putois, adjacent au 
		terrain de camping. 
		 Il est 21 h 02 
		et je me couche. Je sens encore le décalage horaire. La clôture en 
		broche carrelée près de laquelle je m'étais installé donne sur la forêt 
		domaniale de 14 450 hectares, où foisonne le gibier (cerfs, chevreuils, 
		sangliers, renards, hérons, buses, lézards verts) et qui laisse entendre 
		déjà des bruits les plus étranges jamais perçus. Ça me rappelle les 
		minutes passées avec la famille, il y a bien des années dans les 
		Everglades en Floride. Je me laisse envahir avec enchantement par ce 
		mélange insolite de cris d'oiseaux, de hurlements de petits animaux et 
		de cliquetis de branches. Je m'endors sur cet oreiller de bruits. 
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